La Charte de la Maçonnerie Traditionnelle Libre énonce dans son article IX :

« Les Maçons Traditionnels Libres constatent que le pluralisme des rites est désormais une réalité maçonnique qui doit être admise. Ils affirment qu’à travers ce pluralisme des rites une recherche initiatique méthodique et prudente doit permettre de retrouver l’essence traditionnelle de la Maçonnerie. Les rites ne s’excluent pas, ils se complètent. Ils doivent cependant conserver tous leur plus grande pureté ainsi que leurs traditions et usages propres. Un Maçon peut pratiquer plusieurs rites mais il faut dans ce cas qu’il s’abstienne soigneusement de les mêler par ignorance ou par un désir irréfléchi de bien faire. Les Maçons Traditionnels Libres font choix à ce jour de trois rites : le Rite Français Traditionnel (Rite Moderne Français Rétabli, issu de la Grande Loge de 1717), le Rite Ecossais Rectifié (issu en 1778 et 1782 de la Stricte Observance), le Rite Anglais style Emulation (issu en Angleterre de l’Union de 1813). »

Qu’est-ce que le Rite Anglais style Émulation ?

Les origines

L’histoire des rites maçonniques est naturellement très liée à celle de l’apparition et des premières décennies de la Franc-Maçonnerie spéculative. Elle trouve ses sources dans la Grande-Bretagne du XVIIe siècle et là seulement. C’est en Angleterre, entre 1725 et 1751, que le vieux patrimoine rituel de la Maçonnerie opérative écossaise sera réorganisé pour l’usage des Francs-Maçons dits "spéculatifs".
Cette réorganisation aboutira à la fixation de deux grandes familles de rituels maçonniques pour les grades symboliques : celle des "Modernes" et celle des "Anciens". Tous les rites maçonniques pratiqués dans le monde relèvent de l’une ou l’autre de ces deux familles – ou parfois des deux dans des proportions variables – quelles que soient par ailleurs leurs appellations souvent trompeuses.
La création en 1717 [1] de la Grande Loge de Londres et Westminster marque l’apparition de la Franc-Maçonnerie spéculative. Son magistère sera cependant contesté en 1751 avec l’apparition d’une seconde Grande Loge se revendiquant des "Anciens". La vie maçonnique anglaise fut marquée pendant 62 ans – de 1751 à 1813 – par une vive opposition entre ces deux Grandes Loges. Pourtant, en 1799, la Franc-Maçonnerie anglaise faillit disparaître brutalement. Craignant que les effets de la Révolution Française ne gagnent la Grande-Bretagne, le gouvernement entreprit dans les années 1790 d’établir une loi interdisant "les sociétés séditieuses et illégales", au premier rang desquelles les sociétés secrètes. La Franc-Maçonnerie ne fut finalement épargnée par cette interdiction qu’en mettant en avant son loyalisme – dont témoignait la présence de Grands du Royaume à sa tête – et en acceptant un processus d’unification et de réorganisation. Le "Secret and unlawfull societies act", mesure politique de contrôle social, fut donc à l’origine de l’Union de 1813 entre la Grande Loge des Modernes et la Grande Loge des Anciens. Sans nier les éventuels enjeux sociaux que pouvait recouvrir la querelle des "Anciens" et des "Modernes", celle-ci se concentra autour de vives divergences sur la question du rituel maçonnique. La question du rituel et d’une synthèse entre celui des "Anciens" et celui des "Modernes" fut donc centrale dans la formation de la Grande Loge Unie d’Angleterre.
Pour traiter ce problème délicat une "Loge de Réconciliation" fut constituée et élabora – entre 1814 et 1816 – un rituel reflétant l’union des deux courants. Ce que l’on devrait appeler le Rite Anglais, c’est-à-dire le rituel de référence de la Grande Loge Unie d’Angleterre, était né. Les spécialistes considèrent en général qu’il emprunte beaucoup plus aux usages des "Anciens" qu’à ceux des "Modernes" qui y sont très estompés.
Ainsi, paradoxalement, le Rite Français Traditionnel – autre rituel recommandé par la Charte de la Maçonnerie Traditionnelle Libre – est aujourd’hui le seul représentant de la tradition rituelle des "Modernes", c’est-à-dire de la première Grande Loge. On doit noter que la "Loge de Réconciliation" intégra aussi au nouveau rituel des éléments empruntés à l’ouvrage de William PRESTON "Illustrations of Freemasonry" [2] qui présentent de nombreux commentaires sur les symboles maçonniques. Une fois le rituel élaboré, encore fallait-il le diffuser. Les Anglais ayant toujours été respectueux de l’interdiction d’écrire et a fortiori d’imprimer les rituels, il fut décidé de constituer quelques loges spéciales où les frères pourraient venir voir des démonstrations et apprendre le nouveau rituel. Ainsi furent notamment constituées la Stability Lodge of instruction en 1817 et l’Emulation Lodge of Improvement en 1823. Ces loges d’instruction du nouveau rituel comptaient chacune d’anciens membres de la Loge de Réconciliation. Elles étaient censées toutes enseigner le nouveau rituel – qu’il convient d’appeler Rite Anglais – et c’est ce qu’elles firent. Ces loges d’instruction développèrent cependant des usages spécifiques.
C’est pourquoi le Rite Anglais connaît plusieurs "working", expression dont la meilleure traduction est probablement "style". Les différences entre les "working" (formulations différentes, variantes dans la façon de faire les signes, etc.) Emulation, Stability, Universal, West End, Taylor, Oxonian – et d’autres encore –sont cependant légères au regard de celles qui distinguent, dans la tradition maçonnique française, les rites Français, Écossais Ancien et Accepté ou Rectifié. Dans le sillage de l’expansion britannique, le Rite Anglais a connu une grande diffusion à travers le monde, les hasards de l’histoire faisant que c’est surtout le style Émulation qui s’implanta dans l’empire britannique et au-delà. A tel point que pour beaucoup de maçons, le Rite Anglais style Émulation devint tout simplement le Rite Émulation. Style Émulation ou non, le Rite Anglais est marqué par le contexte religieux anglais et par l’esprit qu’entendait lui donner le Duc de Sussex (le premier Grand Maître, en 1813, de la Grande Loge Unie d’Angleterre et l’une des personnalités les plus importantes de l’histoire maçonnique anglaise).
Comme tous les rituels du XVIIIe siècle et du début du XIXe, le Rite Anglais est clairement théiste. La Grande Bretagne abritant plusieurs dizaines de dénominations ou églises professant les idées les plus diverses en matière de christianisme, elle n’a jamais connu de "question cléricale" et la dimension religieuse n’est jamais apparue comme entravant la liberté de conscience à laquelle les Britanniques sont par ailleurs fort attachés comme en témoigne leur tradition juridique. Il faut aussi rappeler qu’à la demande expresse du Duc de Sussex – dont les sentiments philosémites étaient bien connus – tous les éléments symboliques faisant plus ou moins références au christianisme ont été supprimés dans les rituels par la Loge de Réconciliation. Presque totalement fixé dans le premier quart du XIXe siècle, le Rite Anglais s’est maintenu à peu près tel quel jusqu’à aujourd’hui. On doit aussi souligner que la Franc-Maçonnerie anglaise n’a jamais été très regardante sur les réelles croyances théistes de ses membres. Ainsi, la Franc-Maçonnerie et le Rite Anglais – principalement dans sa version Émulation – ont accompagné l’expansion coloniale britannique. La Grande Loge Unie d’Angleterre a donc compté de nombreux frères hindouistes, bouddhistes ou confucéens dont la croyance en l’existence d’un Dieu personnel et en sa volonté révélée est plus ou moins affirmée.

Les grades complémentaires

  1. Les grades latéraux (side-degrees) : la Marque et le Marinier de l’Arche Royale.
    La Grande Loge Unie d’Angleterre ne reconnaît pas de hauts grades, mais les trois grades de la "Maçonnerie du Métier" n’en ont pas moins pour prolongement des grades complémentaires qui ne donnent cependant à leurs membres aucune prérogative particulière en loge bleue. Il existe une Maçonnerie de Marque, conférée aux Maîtres Maçons. Ces loges sont sous la juridiction de la Grande Loge de la Marque, fondée en 1856 en Angleterre. Ce grade, qui a sans aucun doute une origine opérative en relation avec les tailleurs de pierre, permet au Maître Maçon d’approfondir le maniement de ses outils symboliques, de trouver sa place sur le chantier en proposant et faisant enregistrer une marque personnelle.
    Il existe aussi le grade de Marinier de l’Arche Royale (Royal Ark Mariner) qui fait référence à la construction de l’Arche de Noé, premier constructeur de l’humanité.
  2. L’Arc Royal (Royal Arch)
    Ce grade de l’Arc Royal, pratiqué en chapitres, est un autre complément du grade de Maître, très pratiqué dans la Franc-Maçonnerie anglaise. Il est considéré comme le grade d’achèvement et de perfectionnement du grade de Maître. En 1813, l’Acte d’Union des Anciens et des Modernes précise dans son article 2 : "la pure Ancienne Maçonnerie consiste en trois grades et pas , c’est-à-dire : Apprenti, Compagnon et Maître Maçon, incluant l’Ordre Suprême de la Sainte Arche Royale [the Holy Royal Arch]. Mais cet article n’a pas l’intention d’empêcher une Loge ou un Chapitre de tenir des réunions …"
    Un Chapitre est présidé par trois officiers principaux, investis symboliquement chacun d’une des trois fonctions royale, prophétique et sacerdotale, représentant trois personnages bibliques en rapport avec la reconstruction du Temple de Jérusalem après l’exil de Babylone.
  3. Les Ordres associés
    Cette dénomination regroupe d’autres grades complémentaires tels que les grades cryptiques (Cryptic Degrees), le Chevalier du Temple (Knight Templar), le Chevalier de Malte (Knight of Malta), etc.

Le Rite Anglais, style Emulation, en France

Le Rite Anglais, Style Emulation, arriva en France au XXe siècle dans le sillage de la nouvelle obédience fondée avec le soutien de la Grande Loge Unie d’Angleterre, la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière (GLNIR) devenue depuis Grande Loge Nationale Française (GLNF). En 1958, à la suite d’une scission de la GLNF en GLNF Opéra – devenue depuis Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (GLTSO) – le Rite Anglais s’est généralisé dans la Franc-Maçonnerie française. Aujourd’hui, outre la GLTSO, des loges et chapitres de Rite Anglais ont été fondés principalement au Grand Orient de France (GODF), au Grand Prieuré des Gaules, etc. Par l’intermédiaire de sa Fédération Britannique, l’Ordre Mixte International Le Droit Humain connaît aussi le Rite Anglais et quelques loges le pratiquent en France.

Quelques caractéristiques du style Emulation

Emulation demande à ses participants la référence au Grand Architecte de l’Univers, la présence sur l’autel des trois grandes Lumières, le Volume de la Loi Sacrée, l’Equerre et le Compas, ainsi que le respect des Anciens Devoirs. Le Volume de la Loi Sacrée, pris au sens large, permet d’accueillir des Maçons, se réclamant d’une des trois branches du monothéisme, car si c’est le plus souvent la Bible, ouverte au prologue de Saint Jean, il est possible d’y trouver l’Ancien Testament ou le Coran, lors de la prestation de serment du postulant. Pour certains historiens, Emulation est considéré comme une tradition de Maçonnerie opérative anglaise du XVIIe siècle, recueillie à travers les loges des Anciens et des Modernes, qui remonterait au Moyen Age chrétien ; mais dans un but d’universalisme, elle fut volontairement déchristianisée.
Il est d’usage lors de chaque tenue de la Loge Emulation que les travaux soient ouverts au premier, deuxième et troisième grades. Lorsque des planches sont présentées en loge lors d’une tenue régulière, les travaux sont suspendus. Le plus souvent possible, des agapes rituelles suivent la tenue, favorisant et facilitant les échanges. Ces agapes doivent rester sobres et aucun sujet politique ou religieux à caractère polémique ne peut y être abordé. Des "santés d’obligations" ponctuent le rythme de ces agapes, accompagnées d’invocations d’ouverture et de clôture.
Le recrutement d’un profane se fait par connaissance ou cooptation, il a un parrain qui est aussi souvent son présentateur auprès des membres de la loge. A Emulation, le candidat ne subit ni audition sous le bandeau, ni l’épreuve du cabinet de réflexion telle qu’on l’entend dans les autres rites pratiqués en France, ni épreuves par les éléments. En revanche sa préparation vestimentaire, "ni nu, ni vêtu" est importante. Avant d’être admis dans la loge, le candidat séjourne dans un cabinet de méditation.
Pour beaucoup le rituel peut paraître dépouillé, plus particulièrement lors des réceptions aux grades d’Apprenti Entré et de Compagnon du Métier. En fait, la rigueur et le caractère strict de la gestuelle de ce rituel en expriment la signification profonde tout au long de son déroulement.
L’accent est mis sur les Instructions Emulation qui explicitent les cérémonies, donnant des descriptions matérielles, allégoriques et spirituelles des symboles, invitant chaque Franc-Maçon à réfléchir, étudier et méditer davantage à chaque étape franchie. A cet égard, les tableaux de loge soutiennent particulièrement cette étude, car ils sont censés retracer tous les symboles du grade étudié. Diverses versions de ces tableaux existent, mais les plus utilisées furent celles peintes en 1845, à la demande de la Grande Loge Unie d’Angleterre, par le peintre Harris qui réalisa les trois tableaux d’Apprenti Entré, Compagnon du Métier et Maître Maçon.
En raison de l’importance et de la solennité de ces réceptions, chaque candidat à l’un des trois grades symboliques est reçu solennellement et toujours seul, afin qu’il soit le réceptacle privilégié de l’initiation qu’il reçoit. Les cérémonies sont marquées par une invocation et une prestation de serment particulièrement solennelle, avec agenouillement devant l’autel des serments, suivi d’une exhortation prononcée par le Vénérable Maître.
De préférence, chaque Vénérable Maître remplit un mandat d’une année afin de permettre à tous les Maîtres Maçons de la loge d’être investis de cette importante fonction, qui correspond à l’achèvement d’un cycle de progression. La spécificité de cette charge à Emulation est que le nouveau Vénérable Maître est investi au cours d’une cérémonie ésotérique qui l’installe officiellement dans la fonction de représentant du roi Salomon. Cette cérémonie spécifique a été exportée et mise en œuvre dans d’autres rites en France, notamment au Rite Français Traditionnel et au Rite Ecossais Rectifié, alors qu’elle n’en faisait pas partie à l’origine. Cette installation ésotérique est transmise, lors d’une cérémonie spécifique, par le Vénérable Maître descendant de charge, qui devient le Passé Maître immédiat (P.M.I.) dès qu’il a installé le Vénérable Maître nouvellement élu.
Le Passé Maître Immédiat siège à l’Orient, à la gauche du Vénérable Maître en chaire ; il ouvre et ferme le Volume de la Loi Sacrée et dispose les outils lors de l’ouverture des travaux à chaque grade.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Dr E. H. Cartwright, Masonic Ritual : A commentary on the Freemasonic Ritual, Lewis Masonic, 1985.
  2. N.B. Cryer, L’Arche et l’arc-en-ciel : Histoire de l’Ordre des Maîtres Maçons de Marque et du Grade des Nautoniers de l’Arche Royale, traduit de l’anglais par Georges Lamoine, Ed. SNES, 1999.
  3. Bernard Dat, Origine et caractéristiques du rite Anglais de la Fédération Française du Droit Humain, in Cahiers de la Commission de l’Histoire, N°4, février 2001, pp.107-134.
  4. Colin F. W. Dyer, Emulation : A Ritual to remember – Notes on the men and times in the one hundred and fifty years’ history of Emulation Lodge of Improvement 1823-1973, A. Lewis 1973.
  5. Bernard E. Jones, Freemasons’ Guide and Compendium, Harrap, London 1980.
  6. Bernard E. Jones, Guide & Compendium du Franc-Maçon, traduction & adaptation de Georges Lamoine, Ed. Cépaduès 2022.
  7. Bernard E. Jones, Freemasons’ Book of the Royal Arch, Harrap, London 1980.
  8. Bernard E. Jones, L’Arche Royale des francs-maçons, traduit de l’anglais par Georges Lamoine, Ed. La Hutte 2000.
  9. Jean Lhomme, Edouard Maisondieu, Jacob Tomaso, Dictionnaire Thématique Illustré de la Franc-maçonnerie, Ed. 1993.
  10. Irène Maingy, Enquête sur une énigme : la première traduction en français du rituel anglais Style Emulation (1885), in Renaissance Traditionnelle, N°131-132, juillet-octobre 2002, pp. 289-296.
  11. William Preston, Illustrations of Masonry [eleventh edition 1804], Introduction by Colin Dyer, The Aquarian Press 1986.
  12. William Preston, Illustrations de la Franc-Maçonnerie, traduit par Georges Lamoine, Ed. Dervy 2006.

[1A quelques années près, la date de 1717 étant aujourd’hui contestée par plusieurs historiens.

[2Publié pour la première fois en 1772, ce livre, plusieurs fois enrichi, fut constamment réédité jusqu’en 1861.

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